C’est dans le contexte de la scolarisation généralisée des enfants de 6 à 13 ans qu’Alfred Binet a créé, en 1905, un test d’intelligence à la demande du ministère de l’Instruction publique. Les instituteurs constataient les difficultés d’apprentissage de certains de leurs élèves, mais ils ne savaient pas identifier objectivement ceux qui présentaient un retard mental (selon les termes de l’époque) et qui nécessitaient un enseignement adapté. Ce test était une étude clinique des difficultés d’apprentissage en lien avec une capacité cognitive insuffisante. Ce qui correspond aujourd’hui à une vision réductionniste du phénomène.
Dans son article « Troubles d’apprentissage, le calvaire scolaire », Jacques Grégoire, docteur en psychologie et professeur émérite, nous rappelle qu’à la même époque, plusieurs auteurs décrivaient des cas de sujets incapables d’apprendre à lire, malgré des capacités sensorielles et intellectuelles apparemment normales.

De nombreuses études médicales et propositions de thérapies et de soins se sont multipliées depuis lors, ciblant essentiellement le développement cognitif ou psychologique, et de plus en plus souvent le développement corporel dans son ensemble (motricité et facultés sensorielles). Il est aujourd’hui admis que ces différentes sphères sont reliées et interagissent entre elles. Une difficulté corporelle (sensorielle ou motrice) peut entraîner un ralentissement des apprentissages, et par conséquent un manque de confiance en soi. De même, une difficulté d’accès aux concepts, due à un manque de maturité ou à une faiblesse des fonctions sensorielles, peut entraîner l’enfant ou l’adolescent dans une spirale d’échec dévastatrice qui affecte le psychisme et les relations sociales.
D’autre part, nous pouvons observer aujourd’hui que le développement de ces différents plans de l’enfant (physiologique, psychique, intellectuel et social) peut se produire de manière asynchrone. Un jeune enfant très éveillé intellectuellement peut par exemple présenter des difficultés à se séparer de sa figure d’attachement et à s’intégrer dans un groupe. Un autre, très mature et habile corporellement, peut présenter un retard dans l’acquisition de la lecture et de l’écriture.
Ce phénomène de désynchronisation (ou d’individualisation) du développement enfantin n’est pas récent, même s’il semble s’accentuer aujourd’hui. Le Dr Holtzapfel, médecin d’écoles en pédagogie Waldorf en Allemagne, témoignait ainsi, en 1966 :
Aujourd’hui, l’enseignant qui prend une classe en charge ne peut plus compter chez ses élèves sur des données à peu près cohérentes, même si du point de vue de l’âge ils forment un groupe homogène. On parle de « dispersion » toujours plus frappante des aptitudes. Les élèves dont les capacités correspondent encore à ce que jadis on considérait comme la moyenne pour chaque âge sont relativement peu nombreux. Les autres n’atteignent pas ce niveau, à moins d’être surdoués ou de le dépasser de beaucoup. » Tendances évolutives et destins d’enfants, Triades éditions (épuisé)
En écho à ce texte que l’on pourrait croire tout récent, nous pouvons lire le Dr Peter Loebell faire état d’une dissociation entre les différents plans de développement (physiologique, psychique, intellectuel et social) d’après une étude allemande de 2006.
Il écrit que l’étude de la « maturité scolaire » (âge ou croissance corporelle) n’est plus un critère d’observation suffisant pour assurer une scolarisation sereine, et qu’il serait utile d’étudier la « capacité scolaire » (à répondre aux exigences de l’enseignement à venir) et la « motivation scolaire » intrinsèque (et non celle de l’environnement).
Audrey Mc Allen, fondatrice de l’Extra-Leçon, s’appuyait sur ces études pour promouvoir de manière intégrative un développement global optimal chez l’enfant. Fondée sur la pédagogie Waldorf, sa méthode n’est ni cognitiviste (remédiation purement cognitive) ni basée sur le seul mouvement. Elle n’est ni behavioriste (l’environnement agit seul), ni innéiste (l’inné domine). Tous ces points de vue sont utiles pour observer l’enfant dans son individualité propre et son évolution achetypique dont les étapes sont communes à tout être humain.
La pédagogie de l’Extra-Leçon est née du besoin de soutenir les enfants présentant des difficultés d’apprentissage, mais elle nourrit aujourd’hui la pédagogie « ordinaire » en proposant des outils facilitant le développement des facultés d’apprentissage de tous (y compris celles du pédagogue !).
Enfin, je vous propose quelques citations d’origines diverses qui soulignent la nécessité d’affiner l’art pédagogique et de le soutenir par une observation fine et continue de l’enfant et du jeune.
Lors d’un congrès organisé par l’Association française de psychiatrie en mars 2022 sur le thème « Comment les enfants réussissent ou échouent à apprendre aujourd’hui », les questions sous-jacentes étaient les suivantes : qu’est-ce qui fait des élèves heureux et performants ? A quelles conditions le dialogue entre les sciences de la cognition et l’école peut-il être fructueux ?
Ne pas oublier que les professeurs ont affaire à des esprits et non pas directement à des cerveaux.
La pédagogie est un art. La recherche scientifique ne trouve son utilité pratique que lorsqu’elle valide certaines intuitions de manière démonstrative ; elle ne peut pas ôter son rôle à l’intuition. Denis Kambouchner, Professeur émérite de Philosophie 1
La pédagogie Waldorf incarne parfaitement cette observation. Une recherche approfondie et continue sur l’anthropologie steinerienne permet à l’éducateur pédagogue de développer son intuition pédagogique. L’observation de l’enfant et du jeune est un outil précieux pour donner du sens à ses actions.
Je vous présente également un éducateur spécialisé que l’on aimerait lire plus souvent dans le domaine de l’éducation scolaire.
L’éducateur développe une expertise et des outils adaptés pour aider tout Autre2, quels que soient ses origines ou ses handicaps, à accéder au grandir. L’éducateur n’est pas celui qui normose des individus mais celui avec qui l’Autre compose son existence. Philippe Gaberan : Éducateur spécialisé et docteur en Sciences de l’éducation
Audrey McAllen a créé un lien précieux entre la pédagogie Waldorf classique et la pédagogie spécialisée. Ses propositions d’exercices pédagogiques pour l’observation et la remédiation, que ce soit en groupe, en classe ou en individuel, sont des outils inspirants, accessibles et répondant à des besoins très actuels.
Aidons les enfants à s’en saisir avec joie et à surmonter les obstacles que la société leur impose bien souvent.
1 https://www.youtube.com/watch?v=5qtGTHamLoM
2La majuscule à Autre n’est pas une coquille. C’est ainsi qu’il l’écrit.
